Bertrand-François Mahé de la Bourdonnais
EPISODE 1 : DE SAINT-MALO A L'ÎLE DE FRANCE
Si vous allez à Saint-Malo, vous y verrez des gens que j’aime bien. Mais aussi, en flânant sur le quai Saint-Louis, entre les bassins et les remparts, la statue du célèbre gouverneur malouin des îles de France et de Bourbon, Bertrand-François Mahé de la Bourdonnais. Statue de bronze, coulée à partir du moulage de celle de la Place d’armes de Port-Louis à l’île Maurice (inaugurée le 30 août 1859), une statue offerte grâce à une souscription des Mauriciens à l’initiative de l’Amicale Ile Maurice- France, et inaugurée à Saint-Malo le 17 septembre 1989 (année du bicentenaire de la Révolution mais a priori rien à voir !).
Figure 1 : Statues de Mahé de la Bourdonnais à Port-Louis et sous les remparts de Saint-Malo
À La Réunion, la sculpture du gouverneur (réalisée en 1853) est élevée en 1856 sur un piédestal au Barachois de Saint-Denis. Cette première statue n’est plus depuis quelques années, ni à sa place ni en odeur de sainteté pour les partisans du « déboulonnage ». C’est un retour de bâton que l’on ne pourra pas esquiver. En attendant, évoquons le personnage.
En relisant sa biographie, je réalise qu’il est Malouin mais Malouin à demi. Certes, la cité corsaire l’a vu naître le 11 février 1699 mais ses ancêtres sont établis à 18 kilomètres de là, à Dinan (22) depuis le XVIe siècle. Son grand-père Bertrand Mahé de la Bigotière (né à Taden ‒ 5 km de Dinan ‒ en 1630, mort à Paramé en 1715) était marchand et, dans son vieil âge, syndic (procureur du Roi) dans la communauté de Dinan (1)
Le quatorzième des seize enfants mis au monde par son épouse Laurence Le Roy, se prénomme Jacques (né à Dinan le 14 février 1674). Il est le père de Bertrand-François Mahé le futur gouverneur. La mère de ce dernier, Ludivine-Servanne Tranchant, est née le 3 mars 1671 à Saint-Malo, décédée le 12 octobre 1741 dans la même ville.
Jacques, le paternel, capitaine du Marie-Rose de retour de Saint-Domingue, est fait prisonnier par les Anglais et meurt en captivité à Plymouth fin 1705. Il laisse derrière lui, pour sa veuve de 34 ans et ses quatre enfants, une fortune bien modeste : le mobilier d’un petit appartement en location sis « rue du Pont qui tremble » à Saint-Malo, quelques meubles de la maison de Villebague à Saint-Méloir-des-Ondes, des acquêts de petits clos à Pleslin et d’une maison dans la rue du Jerzual à Dinan(2).
Pas le temps d’user ses braies sur les bancs de l’école, la première communion accomplie, à onze ans (1710) le jeune Bertrand-François devient moussaillon comme la plupart des enfants malouins. A contrario de ses petits camarades, il profite de la navigation dans les mers du Sud pour s’instruire auprès des adultes lettrés de l’équipage. Qui lui apprend les mathématiques, qui l’architecture, qui toutes matières utiles à ses fonctions de marin, de soldat et de gouverneur.
Figure 2: Saint-Malo peinture corsaire
En 1719, il entre au service de la Compagnie des Indes. En 1725, il participe à la prise de Mahé (près de Pondichéry), une victoire qui lui vaudra un début de renommée (3). Il quitte ensuite la Compagnie pour se lancer à son compte dans le commerce des Indes et s’enrichir. Fortune faite, il se marie le 24 novembre 1733 à Paramé avec Marie-Anne Le Brun de la Franquerie (née en 1712) appartenant à une famille d’armateurs et de capitaines au long cours. Son beau-père, Gilles Le Brun de la Franquerie, dirige depuis 1720 l’arsenal de Lorient, un piston idéal et puissant pour convaincre son gendre de faire carrière dans la Compagnie.
Vraisemblablement une vie de couple sédentarisée dans une somptueuse et froide malouinière n’était pas son idéal premier. Il rédige, à la demande de son beau-père, un mémoire relatant ses expériences et conclusions tirées de ses six années de « grand commerce aux Indes » (4). Il obtient ainsi du Roi, le 10 novembre 1734, sa nomination aux charges de gouverneur général des îles de France et de Bourbon… Il n’a que 34 ans et cet avancement éclair et prestigieux suscite de la jalousie (en particulier celle de Dupleix qui depuis 1730 est directeur du comptoir de Chandernagor au Bengale.)
Le 2 février 1735, il embarque à Lorient sur le navire le Duc-de-Bourbon. Avec lui onze ouvriers engagés pour trois années, tous Bretons des régions dinannaise et malouine, dont je vous épargne les patronymes, la localité d’origine et le métier (5). Ainsi qu’une douzaine d’enfants trouvés pour peupler la jeune colonie (elle n’a qu’une vingtaine d’années d’existence). Il avait déjà exprimé dans son mémoire de 1733 le projet de « transportation » de 200 enfants âgés de 10 à 14 ans des hôpitaux de France qui, n’ayant aucune attache familiale, ne pourront, pensait-il, que se complaire dans la vie des îles, s’approprier par leur labeur un sentiment d’appartenance à cette terre lointaine, sans idée de retour dans une mère patrie ingrate et à jamais disparue. Probabilités d’autant plus réalisables si des jeunes filles de 10 à 12 ans (noter deux ans plus jeunes que les gars) étaient envoyées pour convoler et proliférer. Main-d’œuvre et repeuplement assurés à bon compte. Des « enfants de la Creuse » à rebours (de l’époque et du lieu).
Il atteint l’île sœur le 5 juin 1735 avant de se rendre à Bourbon pour un séjour d’un mois et de s’établir ensuite à Port-Louis. Dorénavant, priorité à l’Île de France, ordres du Roi et de la Compagnie ! La jeune île de France est estimée mieux placée et plus abordable pour les navires de la route des Indes. Quant aux habitants de Bourbon, le gouverneur veut les transformer en vrais bons paysans chargés de cultiver du blé et des vivrières et d’élever des volailles, pour assurer le ravitaillement des équipages, en plus de la production du café pour l’export.
Figure 3 : Mahé de La Bourdonnais à L'Île de France (photo – histoiresmauriciennes.com)
Pendant cinq à six ans de sa présence effective dans l’île de France, le gouverneur consacre son ardeur à rétablir l’ordre dans l’administration et le goût de la discipline dans la troupe, à construire des infrastructures portuaires, des arsenaux, des magasins, deux sucreries (6), des chantiers navals. Il s’évertue aussi à peupler l’île et à développer la production agricole (canne à sucre, manioc, riz, blé) en facilitant l’embauche « d’engagés » et de travailleurs libres, des paysans bretons durs à la tâche, secondés par une importante main-d’œuvre servile dont je reparlerai dans un prochain épisode.
Parmi les 237 actes d’engagement qui se rapportent aux Mascareignes de 1727 à 1740, 154 sont signés par des Bretons dont plus de la moitié sont de Saint-Malo et des communes alentour (27) ou de Lorient et Hennebont (52), des ouvriers mal payés et guère enclins à rester à demeure dans la jeune colonie. Seuls les plus pauvres y laissèrent quelques descendants « petits blancs ». De nombreux émigrants, paysans, ouvriers, domestiques, venus librement de Bretagne apparaissent aussi sur les registres ainsi que des familles bourgeoises. Cinq ans après l’arrivée de Mahé de La Bourdonnais (de 1735 à 1740), la population libre de l’Île de France a ainsi doublé passant de 172 à 342 tandis que le nombre d’esclaves a quadruplé, de 648 à 2612 (7).
Ses ambitions pour les îles et pour lui-même, ses exigences pour le travail bien fait, sa sévérité envers les tire-au-flanc et les intrigants, son caractère irascible et têtu (breton pour tout dire), lui valent l’hostilité de fonctionnaires froissés et de colons frustrés par tant de pression. Le vent tempêtueux des jalousies et des médisances lui brise les oreilles. Il veut en avoir le cœur net et tirer au clair devant ses supérieurs les reproches qui lui sont faits. L’homme est d’autant plus déterminé que son moral est en berne depuis la mort de son fils aîné âgé d’à peine deux ans en février 1738 et de sa femme trois mois plus tard à 26 ans dans son domaine de Monplaisir (le botaniste Pierre Poivre rachètera la propriété pour y créer le fameux Jardin de Pamplemousses.)
En décembre 1739, il s’embarque pour la Bretagne et se rend donc à Paris. Lavé des accusations à son encontre, il en profite pour se remarier. Le 27 novembre 1740, il épouse à Paris Elisabeth-Charlotte Combault d’Auteuil dont la famille, du côté de la femme de son frère, va conclure l’année suivante une alliance avec celle de Joseph-François Dupleix, le futur gouverneur de Pondichéry (1742) (qui a passé toute son enfance à Morlaix où son père dirige la manufacture de tabac.) En dépit de ces vagues liens familiaux, Dupleix demeurera le rival déclaré de Mahé de La Bourdonnais. Point d’orgue de cette inimitié, la victoire de Mahé en septembre 1746 sur les Anglais à Madras (aujourd’hui Chennai capitale du Tamil Nadu). Dupleix fait raser Madras, contre l’avis de Mahé le victorieux qui avait conclu avec les Anglais de leur rendre la ville contre une rançon. Dégoûté par cette trahison, il rentre aux Mascareignes pour apprendre qu’il n’est plus gouverneur.
Figure 4: Pondichéry et Madras
Références :
- Dinan, notre coin en Bertaèyn, est aussi la ville de naissance du père et du grand-père de Leconte de Lisle et la ville où a vécu et est décédée Esther, l’égérie d’Évariste Parny (cf. articles précédents). Le cœur de Duguesclin, enfant du pays, repose dans la basilique Saint-Sauveur et Anne de Bretagne devenue veuve se retire à Dinan.
- Pour ceux et celles qui ne connaissent pas la Place forte de Dinan, je recommande la visite du château, des trois kilomètres de remparts, des maisons à encorbellement, la Tour de l’Horloge, ses églises, basiliques et la descente abrupte et pavée du Jerzual jusqu’au port sur la Rance et le chemin de halage. Et au retour, vous venez nous faire un petit bonjour.
- Le comptoir de Mahé, près de Pondichéry, doit son nom à Mahé de La Bourdonnais (ainsi que la grande île des Seychelles).
- Ce mémoire remis en fin d’année 1733 a été retrouvé et édité à l’initiative du professeur Philippe Haudrère, président de la Commission historique de l’Association des Amis de Mahé de La Bourdonnais. L’ouvrage Les Français dans l’océan Indien au XVIIIe siècle, éd Les Indes savantes, 2004, présente « Un mémoire inédit de La Bourdonnais, 1733 » ainsi que le « Journal fait aux Indes de M. Mahé de La Bourdonnais, 1746 par M. de Rostaing »
- H. Bourde de la Rogerie, Les Bretons aux Îles de France et de Bourbon au XVIIe et XVIIIe siècles, Rennes 1934, La Découvrance 1998, p.151.
- La première sucrerie établie à Pamplemousses, nommée domaine de la Villebague (la plus ancienne maison coloniale de Maurice), appartiendra successivement à des « seigneurs » de la Villebague de Saint-Méloir-des-Ondes : Athanase Ribretière de la Villebague, cousin de Mahé de La Bourdonnais, les frères Le Vigoureux de Saint-Servan, le malouin René Magon de la Villebague, gouverneur des îles de France et de Bourbon (1755-1759).
- Les Bretons aux Îles de France et de Bourbon… pp.155-160
À suivre… Mahé de La Bourdonnais à Bourbon.
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