Quand un Breton gagnait la Diagonale des Fous

Etienne Marquis Ouest-France 12 Octobre 2025

Ah ça, ce sont des souvenirs. Je n'oublierai jamais. Quand j'en parle, ça me remonte. Ce sont des images, quand je les revois, je me dis : "Putain, c'était beau" ». À quelques connaissances croisées au hasard dans la salle des sports de Kerlébert, à Queven (Morbihan), Gilles Diehl présente, de manière tout à fait anodine, un trophée hors du commun, remporté le 27 octobre 2000 : celui du vainqueur de la Diagonale des Fous sur l'Île de la Réunion, course d'ultra-trail réputée parmi les plus corsées du monde. « C'était il y a 25 ans», sourit-il, en revoyant les articles du Quotidien de La Réunion, qui revenaient sur son exploit.

Un succès qui trouve sa genèse lors de l'édition précédente. « La Réunion, j'y suis allé en 1999. J'avais terminé 4e et j'étais super content du résultat. Au contrôle antidopage, les gars de La Réunion, dont le vainqueur (Cléo Libelle), me disent: "si tu descends mieux, tu gagneras". C'est vrai que je descendais très mal, alors qu'en montée, j'étais très fort, je les lâchais en haut, mais je perdais tout dans les descentes. »

À peine rentré dans le pays de Lorient que cet agent des complexes sportifs de la ville de Quéven s'est mis au boulot. « Je travaillais près de chez moi. Des fois, on allait au Faouët. En Bretagne, on a de belles côtes pour travailler. Pas de côtes longues, mais raides ! Il me manquait que l'altitude, mais j'apprenais à contrôler en descendant vite. Pendant un an, j'ai descendu, descendu, descendu ... ». Et le revoici sur la ligne de départ, un an plus tard.

Après un départ « prudent », « j'ai repris les gars les uns après les autres» et« les descentes passaient bien». Au point de prendre la tête de la course, et pas d'un rien : « J'avais 25 minutes d'avance, à 8-9 kilomètres de l'arrivée ». Mais d'un coup, je ne vois plus de ru balise ! J'avais raté le coche, se tape-t-il dans les mains. Je suis reparti en arrière, sans frontale, à la tombée de la nuit. Au bout d'un quart d'heure, j'ai vu un petit point au loin. C'était Thierry. »

La suite est un sacré moment de sport. Il était cuit et me disait "vas-y, t'es plus fort". Je lui ai dit : "non, tu m'as ramené sur le chemin, tu restes avec moi!". J'ai carrément dû le prendre par la main, lance-t-il en mimant son geste, et on a fini ensemble. C'est l'image que j'ai de La Réunion, cet état d'esprit qu'on a eu ensemble, à se tomber dans les bras. Le sport, je le vois comme ça

Ma course aurait été perdue sans lui. Ce sont des petits détails que tu ne peux pas te permettre d'oublier.» Surtout, « l'amour des gens là-bas » l'a profondément touché. « Aux ravitaillements, j'étais toujours bien accueilli. Ils venaient à côté, te parlaient, t'encourageaient. Ils ne me connaissaient pas, mais je sentais l'amour qu'ils me donnaient, se souvient Gilles avec une voix teintée d'émotion. Pour moi, c'est peut-être la plus belle chose que j'ai réussie dans ma vie ».

Une dimension sentimentale d'autant plus forte que, restée dans le Morbihan, sa femme se battait contre un cancer, qui l'emportera deux ans plus tard. « Elle m'a toujours aidé et s'est toujours battue sans rien montrer. Elle ne voulait pas se plaindre et moi, alors, je n'avais pas le droit de montrer des faiblesses, soupire-t-il dans un trémolo. Mon mental a beaucoup joué dessus et quand je réussissais dans mon sport, ça l'aidait un peu dans sa maladie.»

Vingt-cinq ans après cet exploit, Gilles Diehl n'a pas grandement changé, hormis un genou usé par les kilomètres. Désormais retraité, quoique bien occupé à présider le très actif club Quéven Athlétisme qu'il a créé en 2000, il contemple son chemin parcouru, fier des obstacles franchis et des batailles remportées, enseignant l'athlétisme aux jeunes les mercredis après-midi. « La vie continue pour ceux qui restent », clame-t-il, avec le sourire, toujours.