LOUIS HERY De Redon à l'île Bourbon
Qui ne connaît pas la ville de Redon apprendra du groupe Tri Yann « y'a core 10 filles dans l'bourg de R'don qui tapent du pied quand l'amour les prend… » et de Jo la danseuse de gavottes « elle est d’Redon, la blonde entrée dans la ronde… pas vilaine pour un rond… plutôt belle dondon… elle aime la castagne… et les châtaignes de la foire Teillouse… » Pour la rencontrer, rendez-vous au festival de la Bogue d’Or chaque année en octobre ; une vraie taignouss cette marronne, comme on dit à Vannes en françois-celtique de 1744 (taigneuse, tagnouz en breton) … Oust la Vilaine !
Figure 1 Collège Bourbon devenu Lycée Leconte de Lisle
Pas étonnant que dans ce bourg entre deux eaux (l’Oust et la Vilaine) qui inspire tant les rimeurs et rimeuses du dimanche matin, naquit le 15 octobre 1801, Louis-Émile Héry. Lui a quitté Redon pour se rendre à l’île Bourbon en 1820. Il a 19 ans et s’installe à La Montagne de Saint-Denis pour diriger une usine à sucre qui appartient à deux de ses cousines de Bretagne. Un peu trop jeune sans doute pour une tâche aussi prenante et pour laquelle il est peu qualifié. Il abandonne bien vite la bagasse pour faire la classe au Collège royal (collège Bourbon à Saint-Denis qui, après diverses autres appellations, sera finalement nommé en 1897 Lycée Leconte de Lisle) où il professe en bon français.
Figure 2 Colonel Josselin-Jean, comte de Maingard
Cet établissement d’enseignement secondaire est inauguré le 7 janvier 1819 (jour de la saint Raymond !) par le gouverneur Pierre Bernard Milius en présence de son fondateur et directeur, le colonel Josselin-Jean, comte Maingard fils d’une grande famille de Saint-Malo, né le 11 juin 1759 à Port-Louis en l’Isle de France (mort le 18 mars 1838). Le collège compte 25 élèves à ses débuts et accueillera par la suite de nombreux étudiants qui deviendront des personnalités politiques (Lucien Lacaze, Raymond Barre, Jacques Vergès), des poètes et hommes de lettres (Leconte de Lisle, Léon Dierx, Joseph Bédier (d’une famille originaire de Bretagne), Georges Fourcade, Raphaël Barquissau) et tant d’autres Réunionnais de bonne famille.
Sans doute mû par ses premiers pas dans l’enseignement, Louis Héry repart en France pour se perfectionner et passer un diplôme de bachelier ès-lettres. Une fois son titre en poche, il revient à Bourbon pour réintégrer un poste de professeur au collège. À croire cependant que l’inconstance le guide. Il ne supporte plus la discipline militaire instaurée par le colonel Josselin, les punitions (le cachot) et le port obligatoire de l’uniforme colonial. Son pauvre salaire ne compense pas ses désillusions, aussi démissionne-t-il pour ouvrir sa propre école privée dans l’est de l’île (à Sainte-Suzanne puis à Saint-André). Inconstance quand tu nous tiens. En 1844, il abandonne son métier d’instituteur de campagne pour retourner au Collège royal où il occupe pendant douze ans la chaire de rhétorique (jusqu’à son décès en 1856.)
Voilà l’homme et sa vie de « redondance ». Mais rien ou presque n’est encore débogué à propos de ce qui a fait sa renommée à Bourbon et qui aujourd’hui fait toujours référence à La Réunion. Ainsi, pendant 35 ans passés sur l’île Bourbon, ce curieux érudit de littérature et de langues (connaissait-il le gallo ou le breton de sa région natale ?) s’est efforcé, séduit par ce langage vernaculaire, d’apprendre le parler créole de l’époque et de tenter de le mettre par écrit. Épris de poésies et de fables classiques, il transcrit ainsi à sa manière, car l’écriture du créole n’est pas formalisée, quelques fables célèbres d’Ésope et de La Fontaine. Il publie en 1828 son célèbre ouvrage Fables créoles dédiées aux dames de l'île Bourbon, un ouvrage de référence qui sera maintes fois édité. Cette première édition comprend cinq fables. Elle est bientôt augmentée de douze autres. Les éditions suivantes parues entre 1849 et 1883 de ces dix-sept fables en créole comprennent aussi, à mesure des parutions, entre cent et deux cents pages supplémentaires en français et sont intitulées Esquisses africaines, Fables créoles et Explorations dans l’intérieur de l’Île Bourbon.
Ces textes ajoutés qui relatent les expéditions de l’auteur dans l’île peuvent encore parler aux randonneurs actuels. Si la géographie des mornes, remparts et pitons a peu changé, les difficultés de l’époque étaient sans commune mesure avec les facilités d’aujourd’hui qu’offrent la plupart des sentiers balisés et entretenus par l’ONF. Juste pour l’anecdote : lors d’une expédition, car il s’agit bien de cela, pour gravir le Piton des Neiges, Héry rapporte le comportement individualiste et les frasques d’un des porteurs de provisions « un gros cafre joufflu, trapu et têtu, nommé Ovide, qui nous fait rire malgré les excellentes raisons que nous aurions de garder notre sérieux. Ce comique personnage, le loustic de la troupe, est colère comme un âne rouge, et entêté comme un breton de Lokmariaker […] » Doit savoir de quoi il parle, le gars de Redon !
Considérées à leur origine comme un amusement exotique et folkloriste par le peu de lecteurs avertis de la colonie, ses fables transcrites en créole réunionnais, constituent néanmoins le premier ouvrage littéraire imprimé à La Réunion. Il sera pourtant dénigré par les littérateurs modernes militants de la créolité dans les années 1980. Avant, qu’enfin soit reconnu, à partir des années 2000, l’apport sociolinguistique originel et fondateur de cet ouvrage versifié en créole. Premier essai de transcription de la langue créole en une écriture à base étymologique française. Mieux que rien, un début prometteur qui lancera la littérature réunionnaise et la poésie sur une voie d’exploration et de perfectionnement du créole écrit.
Et pour finir quelques vers tirés en créole du nez de La Fontaine, un Fonnkèr lontan :
Extraits de « La fourmi et la cigale » La fourmi ensemb’ li grélé (grillon) […]
Comment qu’va manzer son plein ventre ?
A forç vir’ son mazination
Li dit : "Moi connaît quoiqu’moi faire !
"Mon voisin fourmi bon nation,
"Va prête à moi mon nécessaire."
Li court la cas’ fourmi, li cogner rondement,
Tin’fourmi cri darrière la porte :
"Qui çà qui cogn’ si hardiment ?
"Quiq’çôs" pour vendre ? Allons, apporte !"
Li grélé répond : "Moi l’a grand faim !"
La fourmi guett’ à li par d’arrièr’ son serrire.
Li dit : "Grélé, vous trop malin !
"Prends pas moi pour vout’ couvertire,
"Quouqu’vous y fait soir et matin ?
"dans’n l’eau vous mirer vout’ figuire ?"
Grélé r’vir : "Tirpas vout fiçant,
"Vous sait qu’moi content badinaze,
"Moi tait çanter continellement.
"Cà mêm’ l’était tout’ mon l’ouvraze." […]
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