Histoires de vie Bretagne Réunion : Marcel LE GUEN
LE MAITRE D'ECOLE
Voilà belle lurette que Philippe le président de l'Amicale Bretagne Réunion me tanne gentiment pour que je rédige des articles relatant les liens historiques ou anecdotiques, les histoires de vie et les passages d'hommes et de femmes de Bretagne qui sont entrés d'une manière ou d'une autre dans la mémoire de La Réunion. Bon j'ai fini par craquer comme vous le voyez. Mais en guise d'inauguration de cette série, je ne parlerai pas des premiers Bretons débarqués dans l'île Bourbon. Non, je vais évoquer la vie et l’œuvre de Marcel Le Guen, un Breton né en 1924 à Tressigneaux dans les Côtes du Nord ‒ de nos jours Côtes d'Armor.
À vingt ans, après avoir accompli ses études secondaires à Saint-Brieuc, il rejoint le 6 juin 44 avec six cents maquisards FTP le maquis de Squiffiec. Après la Libération, il rédige des articles pour différents journaux progressistes de Bretagne avant de devenir rédacteur et de collaborer au quotidien du PC, L'Humanité. Puis,il entre en 1950 à l’École Normale de Saint-Brieuc (NDR : école où mon épouse a travaillé et où nous avonshabité pendant six ans) et c'est diplôme en main qu'il est nommé avec sa femme Paulette à La Réunion en1951.
En 1954, il prend la direction de la pauvre petite école du Tévelave. Être instituteur dans un DOM rien de bien extraordinaire en somme.
Elèves du Tévelave en sortie.
Et pourtant, c'est dans ce coin oublié des Hauts de l'île, de la « « grande forêt » (du malgache tévé lavé), que son engagement auprès d'élèves créoles déshérités va pleinement s'exprimer. Adepte des techniques pédagogiques de Célestin Freinet, il crée « l'École nouvelle du Tévelave » qui favorise l'expression libre des élèves au moyen de différents supports, adaptés à leur contexte de vie et à la langue créole, tel ce premier journal scolaire intitulé avec un brin d'humour, La Moque ‒ du nom d’une source des Hauts des Avirons dont le débit est si ténu que l'on ne peut remplir qu'une boîte de conserve par jour. Ti lamp, ti lamp, « doucement, doucement » comme pour l'éducation des marmailles en quelque sorte. Une révolution au compte-gouttes donc dans l'enseignement et dans les paillotes de l'époque encouragée par des esprits éclairés tel l’inspecteur de l’Éducation nationale, l'Alsacien Roger Überschlag et par des militants de l'école libre et laïque. Quatre ans plus tard, en 1958, suivant cet exemple de réussite, « une école expérimentale » installée dans les locaux de l'école Edgar Avril est ouverte au 23ème km de La Plaine des Cafres. Le Guen est alors épaulé par des enseignants plutôt motivés comme sa femme Paulette, Roger Serveau, Lucile Payet et Arzule Guichard (1921-2006) ‒ probable descendant de son homonyme né en 1672 à Ploemeur, un personnage que j'évoquerai dans un autre article.
Quinze jours après cette glorieuse ouverture, l'école est occupée illégalement pour une réunion électorale du maire de droite du Tampon, Paul Badré. Marcel Leguen, une semaine plus tard, est assommé devant son école par les nervis de la mairie. Ses idées et ses engagements militants inséparables de sa pédagogie sociale, relevant des préceptes de l'éducation populaire, révulse la droite locale qui conserve une mentalité néocoloniale et craint les avancées autonomistes voire indépendantistes. Le Guen est lui-même militant du SNI, où il est un ami proche de l'instituteur autonomiste Raymond Mondon, et sympathisant communiste. Après cette violente agression et la fermeture immédiate de l'école par le préfet, il termine son année scolaire comme adjoint à l’école de Terre-Sainte avant de reprendre en 1959 la direction de celle du Tévelave. Dans la logique d'exception de l'ordonnance Debré de 1960 qui donne tout pouvoir au Préfet pour expulser les fonctionnaires dissidents s'il estime que leurs comportements troublent l'ordre public, les époux Le Guen sont forcés, après 12 années au service des élèves réunionnais, à « l'exil » en France avec l'interdiction de revenir à La Réunion après leur congé administratif de 1963. Ils sont les premiers fonctionnaires de l'île à subir cette iniquité. Ils poursuivront pourtant avec le même dévouement leur carrière à Brest. De retour dans le Goëlo, à Kerdaniel au bourg de Tressigneaux, Marcel Le Guen s'éteint à l’âge de 74 ans, le 15 octobre 1998.
En 2006, à l'initiative du maire des Avirons Michel Dennemont, l'école primaire du Tévelave en hommage à ce maître exemplaire est dénommée, en présence de sa veuve Paulette, Marcel Le Guen. « Le Guen était-il encore un instituteur breton ou déjà un enseignant créole ? » S'interrogeait, en suggérant la réponse, Paul Vergès lors de son discours d'inauguration. Les deux en même temps, dirait l'autre !
Voilà donc la courte histoire d'un homme qui a su mettre en pratique et cultiver avec son épouse des liens fraternels avec le peuple réunionnais. L'histoire des Bretons à La Réunion ne sera cependant pas toujours du même tonneau…
Ecrit par Raymond Figueras
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