Arzule, un ourson du Mor-Bihan à Bourbon(ep 2)
Dans l'épisode précédent (cf Rubrique Histoires Maillées) nous avions laissé Arzule aux prises avec le nouveau gouverneur de Bourbon, Henry Habert de Vauboulon. Un homme irascible et sans scrupule qui par ses manières autoritaires et injustes va se mettre à dos une partie des habitants de l'île. Arzule qui n'a en rien cédé aux exigences éhontées du gouverneur ‒ rappelons qu'en échange d'une concession il demandait à Arzule une somme d'argent exorbitante et un « droit de cuissage » sur sa femme ‒ Arzule donc est dans le collimateur du tyran qui lui promet la prison et la pendaison s'il ne s'exécute pas.
Arzule n'est d'ailleurs pas le seul à se sentir humilié et menacé. Michel Firelin, un jeune Normand de 22 ans arrivé comme le gouverneur sur le Saint-Jean Baptiste le 5 décembre 1689, va aussi avoir affaire à lui. Il est garde-magasin de la Compagnie et a été pourvu la veille de Noël de la charge de procureur du Roi par Vauboulon, lui même commis par Sa Majesté aux fonctions de juge (suprême) de l'île. Ce justicier « au dessus de tout soupçon », après avoir, entre autres méfaits, extorqué une partie des biens et de l'argent des habitants (le recensement effectué par Firelin en 1690 compte 46 « chefs de famille » et une vingtaine de « nègres » et « personnes diverses ») ne lésine toujours pas sur les moyens et combines pour continuer à s'enrichir. Il s'arrange par exemple pour soutirer des bénéfices personnels sur les ventes des marchandises et outils du magasin. Ces biens sont vendus aux habitants plus chers que ce qui est inscrit sur les comptes de la Compagnie. Il empoche la différence. Ce trafic n'est bien sûr pas du goût du garde-magasin qui le lui laisse entendre mais Vauboulon, prétextant le désordre qui règne dans les entrepôts, lui cherche querelle, renverse les étagères et, hors de lui, le frappe méchamment au visage à coups de canne.
Autre ennemi juré du gouverneur, le « Père Hyacinthe de Quimper » comme il se fait appeler. De son vrai nom Hyacinthe de Kerguelen de Kerbiquet, un père Capucin de noble lignée (grand-oncle du célèbre navigateur découvreur des îles éponymes) arrivé lui aussi sur le même bateau que Vauboulon et Firelin ‒ parmi la douzaine de passagers se trouvent en outre Elie Le Breton 19 ans de Locminé, Julien Lespinay 18 ans, Jean-Baptiste Bidon (greffier du gouverneur) et Pierre Lesueur tous les trois de Nantes, ainsi qu'Augustin dit l'Europe Panon 24 ans, futur quatrième époux de Françoise Châtelain. Les inimitiés entre ces deux personnages au caractère trempé débutent à peine ces deux-là sont-ils embarqués à bord du Saint-Jean Baptiste ‒ un navire commandé par le capitaine Guillaume Dubois des Sablons ‒ et s'enveniment au cours des sept mois que va durer le voyage. Le gouverneur se révèle, sous de faux airs paternes, être un fieffé sournois, un pervers dominateur et cupide qui s'en prend sans ménagement à chacun parmi l'équipage et les passagers. Il se montre particulièrement arrogant et mesquin envers les trois Capucins du bord : le Père Bernardin de Quimper qui revient à Bourbon, le frère Antoine de Lannion et le Père Hyacinthe, le seul à lui tenir tête et à consigner par écrit ses faits et gestes. Il a le sang vif et c'est une vraie tête de Mao, un serviteur de Dieu certes enjoué mais têtu comme un Finistérien qui ne se laisse pas marcher sur les pieds.
Il n'en n'est pas de même pour le Père Bernardin qui, depuis sa première évacuation de Bourbon pour raison de santé, sur le Saint-François d'Assise fin 1686 (année, souvenez-vous, de l'arrivée d'Arzule à bord de ce navire) ne s'est jamais complètement remis du mal qui le consume. Il retourne malgré tout dans l'île empli d'espoir, celui de redonner à la colonie le bonheur perdu sous la gouverne abusive de Drouillard. Mais, fortement déçu durant cette longue traversée par le nouveau potentat qui s'apprête à régenter Bourbon, il trépasse à quelques encablures des côtes brésiliennes.
Inutile de revenir sur les nombreuses exactions commises ensuite par Vauboulon, ses menaces de mort et d'emprisonnement, ses profits illicites tirés des 16 titres de concessions accordés à l'insu de la Compagnie, ses taxations injustes, ses mesquineries et autres forfaits. Retenons seulement que dès sa prise de fonction, à peine débarqué sur l'île, il commet l'irréparable : il s'oppose aux supplications du capitaine Dubois des Sablons pour qu'il l'autorise à éloigner des côtes son navire, ou du moins à le placer à l'abri sous le vent, en raison de l'approche d'un puissant cyclone. Refus obstiné qui conduit à la perte d'un des plus grand navire de la Compagnie, entraîne la mort de onze membres d'équipage et va isoler l'île Bourbon de la France pendant six longues années.
Le capitaine breton du Les Jeux, Guillaume Houssaye1, qui revient de Surate mouille son navire dans la baie de Saint-Paul en juillet 1690. Il apprend avec consternation le naufrage du Saint-Jean Baptiste et reçoit les plaintes et discriminations des habitants à l'encontre de Vauboulon confirmées par les dépositions de Gilbert-Joseph de Blot de Chauvigny, ancien ami d'enfance et secrétaire du gouverneur qui, déçu de la tournure des événements, repart pour la France ‒ ainsi que le Père Camenheim de Vannes ‒ avec le capitaine La Houssaye le 14 septembre de cette année là.
À peine le navire Les Jeux, s'est-il éloigné des côtes que Vauboulon enchaîne de plus belle méfaits sur méfaits et, qu'en conséquence de ses actes odieux, une sédition à son encontre s'organise et est en passe d'être réalisée. La brutalité avec laquelle il traite à cette époque Firelin donne le signal de la révolte. Le 17 octobre, le garde-magasin après avoir été maltraité par le gouverneur en furie, part avec Arzule à Sainte-Suzanne rejoindre le Père Hyacinthe et, avec une poignée d'autres compères, ils établissent les prémisses de leur complot. Vauboulon sent le vent tourner en sa défaveur et craint le pire pour sa précieuse personne. Il pense que les séditieux tenteront une action contre lui le 21 novembre, jour de la fête de la présentation de la Sainte Vierge. Il prévient ses hommes de main de se tenir prêts à intervenir. Lorsqu'il entend les cloches sonner, il fait arrêter le bedeau carillonneur qui n'est autre qu'Arzule et le fait jeter en prison.
Aussitôt la fête mariale terminée, Firelin à la tête d'une délégation d'hommes en colère se rend chez le gouverneur pour demander la libération immédiate d'Arzule. Pour toute réponse Vauboulon, l'accuse lui et son comparse de s'être rendus à Sainte-Suzanne sans son autorisation. En conséquence de quoi, et pour refroidir toute ardeur conspirationniste, il décide qu'Arzule sera pendu sine die. Le lendemain de cette entrevue, soit le 23 novembre, Firelin, Hyacinthe, Duhal (l'ami d'Arzule), les nommés Vidot, Barrière et Robert tiennent une réunion secrète. Ils arrêtent un plan et décident de passer à l'action le dimanche 26 au moment où Vauboulon se rendra à l'office dominical du Père Hyacinthe à Saint-Denis. Le jour dit, à peine le gouverneur s'apprête-t-il à rejoindre sa place dans l'église que sur un signal de Duhal, l'homme et ses sbires sont désarmés par Vidot, Barrière et Robert. Ils sont aussitôt traînés en prison sous bonne garde par Firelin ‒ le seul à porter des pistolets ‒ et consorts. Augustin Panon suit l'escorte en portant solennellement, posée sur ses deux mains tendues, l'épée du gouverneur.
Arzule, qui n'est au courant ni de la sentence de mort prononcée contre lui par Vauboulon ni a fortiori du coup d'éclat pour le libérer et enfermer à sa place le maudit gouverneur, sort de sa geôle tout ébahi et heureux. Il leur doit à tous une fière chandelle. Ils fêtent leur victoire la nuit durant à la Maison du Roy, sans crainte désormais du couvre-feu que le tyran déchu avait institué à compter du 3 novembre dans l'intention de conjurer un éventuel coup de force contre lui. Raté !
Après l'arrestation de Vauboulon, la vie reprend de manière plus sereine sur une île qui semble oubliée par la Compagnie et le roi. Plus aucun navire français n'accoste et seul le trafic avec les forbans continue d'apporter quelques objets utiles et ressources pécuniaires aux colons. La crainte de représailles demeure cependant et l'absence de visites officielles rassure en partie la population et davantage encore les conspirateurs. La charge de gouverneur est à prendre. Le Père Hyacinthe naturellement désigné par chacun refuse d'assumer la responsabilité de ce poste, trop pris qu'il est, prétexte-t-il, par ses devoirs d'ecclésiastique. C'est donc Firelin, l'unique candidat, qui est élu par les habitants gouverneur de l'île le 4 mars 1692. Arzule arrose ses 20 ans le 15 de ce mois de mars.
Suite et fin dans un troisième épisode.
1 Guillaume Houssaye effectua, entre 1689 et 1712, 6 navigations dans l’océan indien dont 5 avec escale à La Réunion. Il était très apprécié à Bourbon, non seulement parce qu'il apportait avec une relative régularité le courrier et toutes sortes de marchandises mais aussi parce qu'il était considéré comme un interlocuteur honnête et un médiateur efficace pour régler les conflits entre les colons et la Compagnie des Indes. Le Cap La Houssaye a été nommé ainsi en hommage à ce vaillant capitaine de marine.
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