Arzule, un ourson du Mor-Bihan à Bourbon (ép. 3)
Nous retrouvons au début de ce troisième et dernier épisode de la vie d'Arzule, l'ex-gouverneur Vauboulon en prison et prenons connaissance d'une suite d'événements rocambolesques et tragiques au cours desquels se joue le sort néfaste qui guette au tournant les protagonistes de cette affaire.
Dans sa cellule Vauboulon ne se considère pas comme définitivement vaincu. Il fomente le renversement de l'équipe au pouvoir avec la complicité de son valet de chambre Simon-Louis de la Citerne dit « La citerne », le seul autorisé à lui rendre visite. Pour cela, il peut surtout compter, en promettant d'honorables rétributions, sur les habitants du quartier de Saint-Paul, en particulier sur quelques-uns des 16 bénéficiaires de concessions qu'il a attribuées contre espèces sonnantes. Manque de chance pour lui, des fuites se produisent. Faute à La citerne. Ce valet de pique (la mauvais carte) a en effet soufflé par erreur deux mots de l'affaire à un homme du camp adverse. Le plan éventé est déjoué, la partie perdue ! Le pauvre et zélé La citerne est arrêté et jugé par un « tribunal » composé de neuf habitants qui le condamne à mort le 6 mai 1692.
Arzule s'offusque de cette justice expéditive et, suivant en cela les conseils avisés de son paternel, il s'oppose à ceux qui sèment la mort, il ne supporte pas ces serviteurs macabres qui lui évoquent l'Ankou, le trancheur d'âmes de sa lointaine Bretagne. Il s'empêche, en homme de foi et de cœur, de signer la sentence. Pour les mêmes raisons et bons sentiments, l'esclavage le révulse.
Qu'à cela ne tienne, La citerne est « mousqueté » ‒ exécuté au mousquet ‒ quelques jours après sa condamnation. Face à son tragique échec, Vauboulon déjà affecté par sa détention tombe gravement malade et meurt dans sa cellule le 18 août suivant. Certains diront empoisonné.
De son côté Firelin gouverne au fil des mois de façon de plus en plus autoritaire tant et si bien qu'en avril 1694, à peine deux ans après son élection, la majorité des hommes de l'île, avec à leur tête le Père Hyacinthe, assiègent la Maison du Roi pour le renverser. Après trois jours de siège, Firelin et sept de ses affidés se rendent, le jeune gouverneur est destitué, et toute la bande part croupir au cachot pendant huit jours. Pour pallier l'absence de gouverneur et éviter que ne recommencent les excès d'autoritarisme et les abus liés au pouvoir d'un seul individu, un directoire est constitué avec à sa tête Athanase Touchard (1636-1715). Les six administrateurs ‒ parmi lesquels Louis Caron dit "La Pie" né en 1642 à Caudan près de Lorient et François Mussard (1642-1711) l'ancêtre du tristement célèbre chasseur de marrons ‒ se réunissent au Tour des Roches de l'étang de Saint-Paul. Il sera dit que cette organisation politique inédite inaugure en quelque sorte une « République de Bourbon ».
À 28 ans, l'ambitieux Firelin n'a cependant pas dit son dernier mot. Il prépare pour sa revanche, six mois à peine après sa libération, l'assassinat du Capucin Hyacinthe. L'infâme complot une fois de plus est déjoué et Firelin, acculé par des poursuivants qui veulent sa peau, se réfugie dans les Hauts de Sainte-Suzanne.
Arzule qui a rejoint la meute des chasseurs apprend que son ami de toujours, Robert Duhal ‒ le forgeron originaire de Pleudihen sur Rance qu'il a rencontré sur le bateau qui le conduit à Bourbon, cet ami sincère qui l'a libéré de prison et sauvé de la pendaison ‒ est resté fidèle à Firelin. Il décide donc d'abandonner sur le champ cette chasse à l'homme. Elle prend fin de toute façon après dix jours de vaine traque. Firelin reste marron jusqu'en novembre 1694. Jusqu'au jour où lui et ses hommes se placent sous la protection du capitaine Prades dont ils ont rejoint le navire Les Jeux venu mouiller une énième fois en rade de Saint-Denis. Ils sont ensuite débarqués à Goa, comptoir portugais sur la côte occidentale de l'Inde. En cours de route, Firelin n'a pas manqué de dévoiler à Prades les dessous de l'affaire Vauboulon en chargeant au maximum le Père Hyacinthe. Ainsi va l'histoire.
Le Directoire de Saint-Paul administre pendant ce temps la vie à Bourbon avec plus ou moins de bonheur jusqu'à l'arrivée dans l'île, le 2 juillet 1696, du comte Guillaume d'Aché de Serquigny (1) amiral d'une escadre de cinq vaisseaux partie de la rade de Groix le 31 mars 1695. Mis au courant de l'affaire Vauboulon par Prades qu'il a rencontré à Surate et du désordre qui semble prévaloir à Bourbon, il lance peu de temps après son arrivée dans l'île des battues pour capturer les protagonistes de l'arrestation et de la mort du gouverneur Vauboulon et de son valet La Citerne. Il a déjà récupéré le trio Firelin, Robert et Vidot en Inde et bientôt c'est au tour de Hyacinthe, Duhal et Barrière d'être arrêtés. Arzule, quant à lui, est épargné car étant en prison au moment des événements son rôle est considéré comme mineur. Les six captifs sont embarqués sur différents navires pour être jugés en France, en Bretagne pour être précis. Aché de Serquigny installe ensuite son capitaine d'armes, Joseph Bastide, comme Commandant provisoire de Bourbon. Il administrera l'île de façon décentralisée d'août 1696 à juin 1698.
Par jugement du 29 mai 1697 de la cour de Rennes, Firelin est condamné à mort par pendaison et exécuté dans cette ville le 4 juillet de la même année ; Hyacinthe, Barrière et Duhal sont condamnés à perpétuité aux galères ; Robert à dix ans de galère et Vidot à cinq. Ils mourront tous esclaves dans l'enfer des galères excepté le Père Hyacinthe gracié in extremis par le roi, un nobliau « pistonné » qui ne goûtera donc pas à la « peine afflictive et infamante » des travaux forcés et finira paisiblement sa vie au monastère d'Hennebont.
En septembre 1698 arrive à Bourbon ‒ sur la frégate Le Marchand des Indes partie de Lorient le 14 avril de la même année ‒ le nouveau gouverneur Jacques de La Cour de La Solais accompagné, c'est une première, de sa petite famille. À en croire la chronique, c'est un fêtard qui mène grand train aux frais de la Compagnie et qui profite de la moindre occasion pour se mettre de l'argent de côté. Comme Vauboulon ‒ chassez le naturel il revient au galop ‒ il se verse par exemple sur son propre compte le montant d'une taxe illégale sur les concessions qu'il accorde aux colons (Arzule ne fait toujours pas partie des élus). Il va en outre innover en matière de corruption. La culture du café, lancée à grande échelle, exige une main-d’œuvre nombreuse et corvéable à merci. La solution est à portée de main et prometteuse pour son porte-monnaie : les forbans de la zone lui suggèrent d'organiser de manière systématique la « traite négrière ». Il saute donc une fois de plus sur l'occasion pour arrondir, comme un vulgaire pirate, ses fins de mois. Il s'octroie ainsi un pourcentage de 10% sur la vente des esclaves, du « bois d'ébène » dont le prix moyen en 1700 se monte à 300 livres tournois pour un homme (équivalant à environ 7500 € actuels) et 200 livres pour une femme (5000 €).
L'histoire des gouverneurs de Bourbon semble bégayer. Les agissements de La Cour de La Solais sont dénoncés dans un rapport à la Compagnie des Indes par deux de ses compagnons de voyage, les ecclésiastiques Henri Roulon de la Vante de Bayeux et Goulven Calvarin originaire de Vannes2. Le gouverneur reçoit l'ordre de rentrer en France en juillet 1701. Pour ce retour forcé, La Cour embarque sur le Bourbon, le navire sur lequel vient justement d'arriver son remplaçant Jean-Baptiste de Villers (lui repartira en 1709). Mais, dernier rebondissement, lors d'une escale en Inde, le gouverneur déchu s'échappe du Bourbon et ne reviendra en France qu'après s'être assuré de sa totale impunité. Aucun argousin ne fut envoyé à sa poursuite, noblesse oblige.
Arzule obtiendra finalement de ce jeune gouverneur fraîchement débarqué (comme annoncé dès le premier épisode) la concession de son terrain du Butor. Arzule ‒ sans doute inspiré par de Villers qui débute l'exploration du Sud de l'île avec son garde-magasin René Pontho afin d'en évaluer les potentialités agricoles ‒ sera aussi un des premiers colons à découvrir le Sud « sauvage » puis à s'y installer avec sa famille. Pour mémoire, autour de Saint-Philippe, Ravine Arzule, Piton Mare d'Arzule et Pointe de la Mare Arzule, rappellent ce personnage « historique » originaire du Mor-Bihan.
Il décède vers la mi-juin 1746 à l'âge de 74 ans.
1 Guillaume d'Aché (1647-1713) descend d'une famille de la noblesse normande. Il est lié par mariage aux famillesnobles du Douvez (quartier de Guipavas dans le Finistère) : en premières noces, il épouse la fille du seigneur de Beau-Repos, Renée le Mercier née à Guipavas en 1661 ; en secondes noces, la « demoiselle de Kerbasquiou », fille du seigneur de Keroudot.
2 Calvarin Goulven, originaire de Vannes, est un prêtre du séminaire des Missions étrangères de Paris et du séminairede Québec, mort au Mississipi le 26 novembre 1719.
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